( Ou les travaux d’un Hercule des temps modernes )
Je connais Robert depuis bien longtemps et je l’aide régulièrement côté entretien car une maison est toujours, avec le temps, une source de problèmes. Depuis plus de vingt ans, nous avons appris à nous connaître jusqu’au jour où surgit, pour moi, l’inédit, l’impensable. Il m’avait dit « Tu vois, ma pelouse, c’est n’importe quoi et j’aimerais bien avoir un vrai gazon ». Le coût d’une société de jardinage étant très élevé, je lui suggérai « audacieusement » de bêcher lui-même les 200 m2 de jardin. Je l’avais déjà fait chez moi dans le passé en me disant qu’en bêchant 2 m2 tous les soirs après le travail, je mettrais 3 mois. Et cela a parfaitement réussi. Mais cette fois-ci, le laboureur avait le handicap de ne pas pouvoir voir ce qu’il faisait. Eh bien, Robert a trouvé les astuces pour se repérer au sol et a tout retourné en dix jours. Je pense qu’il a été le premier surpris par ce résultat qui lui prouva qu’il avait au fond de lui une volonté et une persévérance hors norme.
(Photo du gazon final 2 ans après au moment de l’extraction de la souche de lauriers)
Ce n’était que le début des surprises car il sentait au fond de lui-même ce besoin de créer en modifiant l’invisible et en lui donnant une réalité physique. De plus, ayant abandonné le tandem, il conservait un grand besoin de se dépenser physiquement. Il fit découper l’énorme sapin qui dépareillait son jardin par un bûcheron de ses connaissances et celui-ci laissa sur place une énorme souche d’un tronc de 70 cm de diamètre, ainsi que les grosses racines superficielles. Ce fut son deuxième exploit, ce que lui préfère appeler « réalisation insolite », car il savait désormais que les limites du possible s’étaient beaucoup éloignées. Le plus compliqué pour un non-voyant était de travailler avec une hache et plus encore avec une tronçonneuse ! C’est là que le petit Brian venait le soir à la sortie de l’école pour l’aider (notamment à affiner ses repères). Son frère, Dylan et moi-même donnaient aussi un coup de main pour découper le tronc avec une méga tronçonneuse. Mais pour couper les énormes racines, il fallait creuser profondément autour et au-dessous, un travail de taupe en somme, « tout désigné pour moi », me dit Robert qui ne manque pas d’humour. Il y a consacré moins de deux semaines. Le plus difficile fut de couper le pivot central qu’il a laissé finalement à 20cm sous le niveau du sol.
(Ci-dessous Bryan la terreur des bucherons )
Plus tard, il a décidé de couper les troncs d’une cépée de lauriers qui atteignaient 8 mètres de hauteur et 15 centimètres de diamètre en moyenne. Il restait donc une souche énorme enchevêtrée de 4m de large et 2 m de profondeur, appliquée contre le mur du voisin. Au début, on a essayé de la détruire écologiquement avec de l’ail planté dans des trous percés verticalement, car l’ail en poussant dégage des toxines qui détruisent les souches. Le résultat fut décevant au bout d’un an. Et un jour, en visitant l’ami Robert, je vis qu’il avait entrepris de déterrer tout seul cette souche qui devait faire au total au moins 2 tonnes avec des milliers de radicelles s’enfonçant depuis probablement plus de 40 ans dans le sol. Impossible, me diriez-vous ! Mais non, pour l’ami Robert, tout était devenu possible, même s’il fallait utiliser un cure-dent pour gratter la terre. Dans ses vies antérieures, il avait peut-être été castor, taupe, fourmi, sanglier, etc. Alors, il lui a fallu de nombreux outils : sécateurs, scie égoïne, grattoirs, hache, cognée, tournevis, coins, crics, perceuse, palans, tirefort, etc. Toutes les semaines, je venais voir l’avancement des fouilles, lui donnant un coup de mains et inventant des stratégies de levage car la moindre radicelle résiste à une tonne de traction. Il a réussi à casser le palan supportant 2 tonnes ! Le tirefort se déforma complètement. La présence de terre usait rapidement les chaînes des tronçonneuses et il fallait tout couper manuellement sous la souche, ce que fit Robert, « la taupe ». Les coins ne servaient pas car ils restaient coincés à cause de l’élasticité rémanente du bois de laurier. Au final, c’est avec des milliers de coup de cognée (hache de bucheron) que Robert arriva à fendre les blocs de souches en deux, puis les deux moitiés en deux, etc. L’aide de Dylan et Bryan lui furent là encore d’un grand secours. Tout ce travail a duré plus de 2 mois, mais qu’importe le temps … l’objectif était atteint !
(photos de plusieurs phases)
Ce qui est magnifique dans cette histoire, c’est qu’elle peut donner l’espoir à ceux qui démissionneraient devant une tâche qui les dépasse en apparence. Il faut savoir que tout devient possible avec la foi, la volonté, la persévérance, d’abord la disposition à essayer (qui ne tente rien n’a rien), et je dirais même la rage de vaincre ses ennemis que sont la peur, le doute et la démission.
Personnellement, je suis un bricoleur universel, aimant la création d’espaces et les inventions en tous genres. J’ai dit à Robert « Je ne connais pas de voyant qui aurait fait ce que tu as réalisé là, qui s’y serait même aventuré. Mais pour lui, m’expliqua-t-il, ce ne fut que plaisir, l’amour de l’activité physique, ainsi que la joie à découvrir le réalisable.
Comme beaucoup d’entre vous, je connais bien sûr le « discours » de Robert, mais je connais aussi celui-ci dans son quotidien. Ce qu’il nous dit, il le manifeste. Sans prétention ou plutôt en m’amusant un peu, j’ai voulu ici illustrer surtout qu’en effet, Robert est ou fait ce qu’il dit, ce dont il nous fait le partage. Il nous parle savamment de notre conditionnement, de nos blessures, connaissant surtout bien les siennes, et il nous invite, veux-je dire, à les considérer de près ou plutôt en profondeur, à aller « couper le mal à sa racine ». En quelque sorte, nous l’avons vu à l’œuvre !